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Critères d'appréciation de l'intérêt de l'enfant et résidence alternée

Le 26 août 2021

Interrogés dans le cadre d'une étude menée par Bruno Lehnisch, Administrateur des services du Sénat, ancien Directeur au Défenseur des droits et Caroline Siffrein-Blanc, Maitre de conférences à l'université Aix-Marseille, des juges aux affaires familiales près des tribunaux judiciaires français, ont répondu un questionnaire relatif à la mise en œuvre de la résidence alternée depuis la loi n° 2002-305 du 4 mars 2002.

Sur les critères d'appréciation de l'intérêt de l'enfant, voici l'analyse de leurs réponses : 

Critères récurrents : l'âge et les considérations géographiques

Tous les magistrats interrogés s'accordent sur un point essentiel : chaque situation parentale doit être appréciée au regard de l'intérêt de l'enfant, à l'exclusion de toute autre considération tenant, par exemple, aux revendications d'égalité parentale.

Or, l'intérêt de l'enfant, entendu comme « ce que réclame le bien de l'enfant », est un « objet juridique non identifié ».

Les magistrats ont été interrogés sur les critères à l'aune desquels cet intérêt est apprécié en énumérant plusieurs items :

- âge des enfants ;

- opposition des enfants ;

- capacités d'accueil insuffisantes du demandeur ;

- considérations géographiques (distance entre les domiciles parentaux et/ou de l'établissement scolaire) ;

- manque de disponibilité du parent demandeur ;

- conflit entre les parents.

Les critères les plus couramment cités par les juges sont l'âge des enfants et les considérations géographiques. Si ce dernier critère repose sur des bases plutôt objectives et consensuelles (chacun peut admettre que l'enfant ne doit pas subir des trajets trop importants, au risque de perturber ses temps de vie et de repos ), le critère de l'âge est, quant à lui, particulièrement débattu en doctrine et parmi les professionnels de l'enfance. Un enfant de moins de 3 ans a-t-il la capacité émotionnelle de « subir » une résidence alternée ? Quid entre 3 et 6 ans ? Les avantages qu'il peut en retirer au plan affectif sont-ils contrebalancés par les inconvénients en termes de stabilité de ses repères ? 

Un constat s'impose toutefois : le critère de l'âge ne semble pas apprécié de manière uniforme par toutes les juridictions.

Citons également le critère de l'opposition des enfants et celui de la mésentente des parents.

L'opposition des enfants - La consultation met en évidence que, pour certains magistrats, l'opposition des enfants fait obstacle de manière rédhibitoire à la mise en place de la résidence alternée. D'autres positions apparaissent cependant plus nuancées.

Exemples - À titre d'exemples, la conseillère à la cour d'appel d'Aix place le refus de l'enfant comme l'un des derniers motifs du refus de la résidence alternée en raison des pressions qu'il peut avoir subies pour se déterminer. D'autres magistrats, tels que certains juges à Saint-Brieuc et à Évry, soulignent la nécessité d'apprécier le caractère libre et « authentique » de la parole de l'enfant. Dans le même sens, la cour d'appel de Versailles a récemment jugé que, « si la prise en compte de la parole de l'enfant en justice est une exigence légale, néanmoins l'audition d'un mineur ne doit pas être instrumentalisée par l'un ou l'autre des parents en l'exposant à un conflit de loyauté et en faisant de lui l'arbitre du conflit » (Versailles, 28 mars 2019, n° 18/04749) (25).

La mésentente des parents - Le critère de la mésentente des parents est encore plus caractéristique d'une certaine subjectivité des magistrats.

En effet, certaines décisions mettent en évidence la nécessité « d'une capacité d'entente entre les parents leur permettant d'assumer les contraintes de l'organisation pratique nécessaire à la mise en œuvre de telles modalités d'exercice de l'autorité parentale, de s'accorder sur les modes d'éducation de l'enfant et de conduire avec souplesse l'adaptation de ce cadre aux besoins changeants de l'enfant » (JAF de Nanterre, 28 juin 2018, n° 17/10170) (26).

À cet égard, le rapport du ministère de la Justice de 2012 précise que, « lorsque le juge rejette la demande de résidence alternée, le motif de rejet le plus souvent avancé est l'intérêt de l'enfant, suivi des mauvaises relations entre les parents ».

D'autres décisions soulignent, au contraire, que le conflit entre les parents n'est pas un argument de nature à faire obstacle à la résidence alternée.

Exemples - À titre d'illustration, la cour d'appel de Paris a jugé que « le conflit qui oppose les parents ne peut servir utilement à faire échec à la demande de résidence alternée sauf à ce qu'il ne soit jamais fait droit à une telle demande et à nier tout droit à la mise en place d'une telle résidence, dans la mesure où, portée devant le juge, cette demande résulte nécessairement de l'existence d'un conflit » (Paris, pôle 3 ch. 3, 31 mai 2012, n° 10/04248 ) (27).

D'autres décisions peuvent être citées dans le même sens :

- « la mésentente des parents ne peut à elle seule faire obstacle à la résidence alternée » (Paris, 25 juin 2015, n° 13/24872 ) ;

- « par principe, les tensions parentales ne sont pas de nature à faire obstacle à la résidence alternée » (Versailles, 2 juin 2016, n° 15/03091)

Les juges justifient cette position de principe par le fait que certains parents peuvent chercher à nourrir un conflit pour faire échec à la résidence alternée, comme l'illustre cet arrêt de la cour d'appel de Nancy : « la cour s'interroge sur la réalité du conflit et s'il n'est pas volontairement mis en exergue et alimenté par Mme P. pour faire obstacle à la résidence alternée » (Nancy, 3e ch., 13 févr. 2017, n° 16/00942 ).

La consultation menée auprès des JAF confirme ces divergences d'appréciation au sein de la communauté des JAF.

Exemples - À titre d'exemple, la JAF du TJ de Metz place le conflit entre les parents comme l'un des principaux motifs de refus de la résidence alternée.

Toutefois, d'autres approches existent.

Ainsi, la conseillère à la cour d'appel d'Aix-en-Provence fait valoir qu'il arrive que « le parent qui refuse la RA met[te] en œuvre des contentieux pour montrer la mésentente qui ne permet pas cette solution ».