Refus d'entendre un enfant au motif qu'il n'est pas capable de discernement
Arrêt rendu le 14 avril 2021 par la Cour de cassation, 1re civ. n° 18-26.707 (319 F-D)
À la suite d'une séparation parentale conflictuelle, le père d'un enfant mineur a fait obstruction à différentes reprises à la réalisation de soins médicaux au bénéfice de son fils, au point que la mère a obtenu du juge aux affaires familiales l'autorisation de prendre toutes les décisions relatives à la santé de l'enfant sans l'assentiment du père.
Dans le cadre de la procédure en appel contre cette décision, l'enfant a formé une demande en vue de son audition, laquelle a été rejetée. Le père a alors saisi la Cour de cassation d'un premier pourvoi contre le rejet de la demande d'audition de son fils, puis ultérieurement d'un second pourvoi contre l'arrêt sur le fond ayant confirmé la décision du juge aux affaires familiales sans avoir procédé à l'audition de l'enfant.
Par arrêt rendu le 14 avr. 2021, la première chambre civile déclare irrecevable le premier pourvoi mais accueille favorablement le second au visa des art. 388-1 c. civ. et 338-4 c. pr. civ. : (1)
Texte intégral :
« 8. Il résulte de ces dispositions que, lorsque la demande d'audition est formée par le mineur, le refus ne peut être fondé que sur son absence de discernement ou sur le fait que la procédure ne le concerne pas.
9. Pour rejeter la demande d'audition du mineur, l'arrêt retient que l'audition a été refusée en raison du manque de discernement de l'enfant et afin de préserver ce dernier de tout conflit parental.
10. En se déterminant ainsi, sans expliquer en quoi celui-ci n'était pas capable de discernement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale. »
Textes appliqués :
Code civil - art. 388-1
Code de procédure civile - art. 338-4 - art. 338-5
Depuis la réforme de l'audition du mineur dans le procès civil, résultant de la loi du 5 mars 2007 (L. n° 2007-293 réformant la protection de l'enfance) et de son décret d'application du 20 mai 2009 (Décr. n° 2009-572 relatif à l'audition de l'enfant en justice), la Cour de cassation a manifesté à plusieurs reprises sa volonté de faire respecter le droit de l'enfant d'exprimer ses opinions dans les procédures qui le concernent, tel qu'il est consacré par l'art. 12 de la Convention internationale relative aux droits de l'enfant.
L'arrêt rendu le 14 avr. 2021 s'inscrit dans la continuité de cette jurisprudence, du moins pour ce qui concerne la réponse de la première chambre civile au second pourvoi dont la Cour de cassation était saisie.
La réponse de la première chambre civile au second pourvoi, formé contre l'arrêt sur le fond, est intéressante . Le demandeur au pourvoi reprochait aux juges du fond d'avoir statué sans entendre son fils qui en avait fait la demande, « en raison du manque de discernement de l'enfant et afin de le préserver de tout conflit parental ». La première chambre civile retient son argumentation et casse la décision attaquée au visa des art. 388-1 c. civ. et 338-4 c. pr. civ. Le premier de ces textes affirme que l'audition du mineur est de droit lorsqu'il en fait la demande. Il en résulte logiquement que le juge ne peut refuser d'entendre l'enfant que si l'une des conditions de son audition fait défaut, à savoir s'il n'est pas concerné par la procédure ou s'il n'est pas capable de discernement, ce que confirme l'art. 338-4, al. 1er, c. pr. civ. Si, en application de ce texte, l'absence de discernement peut tout à fait justifier le rejet de la demande d'audition formée par le mineur, encore faut-il, comme il en découle du présent arrêt, que ce défaut de discernement soit étayé par les juges du fond, lesquels ne peuvent se contenter de refuser d'entendre un enfant en affirmant qu'il n'est pas doué du discernement requis sans le démontrer.
En résumé :
L'audition de l'enfant mineur est de droit lorsqu'il en fait la demande. Sa demande d'audition ne peut être rejetée que parce qu'il n'est pas concerné par la procédure ou parce qu'il n'est pas capable de discernement. Dans ce cas, l'absence de discernement doit être étayée par les juges du fond, qui doivent expliquer précisément en quoi l'enfant n'est pas capable de discernement.