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Demande de contribution et indétermination des ressources du débiteur

Le 13 novembre 2020

Dans le cadre d'une procédure pendant devant le Juge aux Affaires Familiales, le défendeur, dont on ignore les revenus, doit-il être condamné à payer une contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants  ?

Le demandeur, qui supporte la charge de la preuve, doit-il au contraire être débouté de sa demande?

Cette question, soumise à la Cour de cassation, a reçu des réponses évolutives.

En droit, l'art. 371-2 du Code Civil, énonce que, si chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants, c'est à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. Le texte ne souffre d'aucune équivoque : la contribution à l'entretien et à l'éducation est la résultante de ces trois montants que le demandeur doit produire au soutien de sa prétention financière.

Dans un premier temps, la Cour de cassation a pu faire une stricte application du droit de la preuve, sans toutefois manquer de rappeler les devoirs du parent non hébergeant.

Ainsi, la Cour approuva la Cour d'appel qui affirmait le principe d'une contribution due par le parent non hébergeant, dès lors que celui-ci ne démontrait pas qu'il était dépourvu de ressources, pour toutefois in fine casser l'arrêt qui s'en satisfaisait afin de fixer la contribution à l'entretien et à l'éducation.

La Cour précisait alors qu'il appartenait à la juridiction d'appel de rechercher les ressources des parties, ne pouvant se limiter à énoncer que « le père n'était pas dépourvu de ressources ».

La solution a ensuite pu être répétée

La Cour de cassation a, par la suite, pu retenir comme satisfaisants des éléments non chiffrés pour évaluer la situation du débiteur.

Dans un arrêt en date du 12 juin 2013, la Cour y approuve une décision d'appel en relevant que « la cour d'appel, qui ne pouvait se déterminer que sur les éléments qui lui étaient fournis, a, après avoir constaté qu'aucune des parties ne justifiait de ses ressources, souverainement fixé le montant de la contribution du père à l'entretien et à l'éducation de son fils en prenant en considération les besoins d'un enfant de 15 ans ».

Si les principes qui ont guidé cette décision ne sont pas explicités par la Cour, la lecture du rapport de Mme Le Coty met l'accent sur « l'obligation d'entretenir et d'élever les enfants ». Le rapporteur rappelle qu'il s'agit « d'une obligation légale à laquelle les parents ne peuvent échapper qu'en démontrant qu'ils sont dans l'impossibilité matérielle de le faire (Civ. 2e, 4 mars 1987, n° 86-10.453, Bull. civ. II, n° 60) ».

Ce principe qui devrait amener le juge du fond à fixer un montant de contribution dans l'ignorance des ressources des parties, n'est pas sans poser de difficultés juridiques et  pratiques.

En effet, faute d'éléments sur les ressources du défendeur, la prétention du demandeur cédera sous la charge de la preuve. L'application de l'art. 371-2 c. civ. qui fonde la demande suppose que le juge ait entre les mains les éléments nécessaires au calcul de la contribution à l'entretien et à l'éducation, et c'est au demandeur de les lui fournir.

Faute de quoi, la demande ne peut être considérée comme « bien fondée » : le demandeur devrait être débouté.

On pourrait objecter que le défendeur sait « qu'il s'expose à ce qu'une décision soit rendue sur la seule foi des éléments produits par le demandeur » mais l'argument ne peut prospérer si on constate que, dans le cas qui nous occupe, le demandeur ne produit précisément aucun élément.

Le code de la sécurité sociale anticipe heureusement les conséquences d'un tel débouté : le demandeur qui bénéficie de l'ASF n'en sera pas privé.

En outre, quand bien même le juge se risquerait à fixer un montant dans ces conditions, cette décision est pourtant susceptible de profiter au défendeur qui bénéficierait de ressources confortables. Celui-ci aurait peut-être tout intérêt à ne pas comparaître et à ne communiquer aucune pièce, pouvant raisonnablement espérer n'être condamné qu'à une contribution à l'entretien et à l'éducation « standard », voire égale à l'ASF.

Le juge du fond semblerait être condamné à choisir entre priver d'effet le principe de l'obligation d'entretien des enfants et faire droit à une demande sans posséder les éléments de fait pourtant exigés avec précision par la loi.

C'est ce constat qui amène à envisager l'idée que, dans ce débat, il faudra dépasser la seule question de la charge de la preuve pour poser celle de son « poids ». Le demandeur peut-il raisonnablement réussir ce qu'on exige de lui : obtenir, puis produire les éléments financiers relatifs à la situation de l'autre partie ?

Quelques possibilités existent pour avoir accès à ces informations.

À l'initiative du demandeur : l'art. L. 111, II, du LPF - Cet article prévoit que « les créanciers et débiteurs d'aliments dont la qualité est reconnue par une décision de justice peuvent consulter les éléments des listes mentionnées au I (19) afférents à l'imposition de leur débiteur ou créancier, selon le cas, quelle que soit la direction départementale des finances publiques dans le ressort de laquelle l'imposition du débiteur ou du créancier est établie ».

Ce texte implique que le créancier d'aliments soit déjà titré et que le département de résidence du débiteur soit connu, ce qui permet de déterminer l'adresse du centre des impôts à solliciter. Il s'agira d'une difficulté non négligeable face à un débiteur d'aliments qui aurait disparu.

La question de la nécessité de la présentation d'une décision de justice reconnaissant la qualité de créancier est localement diversement appréciée, et pas toujours exigée. En cas de difficulté, elle peut éventuellement donner lieu à une première décision dont le but serait de permettre cette consultation. 

À l'initiative du juge, sur demande d'une partie : l'art. L. 143 du LPF - « Les juridictions de l'ordre judiciaire ou de l'ordre administratif devant lesquelles a été engagée une action tendant à obtenir une condamnation pécuniaire peuvent ordonner à l'administration des impôts et aux personnes parties à l'instance de leur communiquer, en vue de leur versement aux débats, tous les documents d'ordre fiscal dont la production est utile à la solution du litige. »

Si ce dispositif permet effectivement d'obtenir et de débattre d'éléments actuels et pertinents démontrant les revenus du défendeur absent, il s'accommode mal des règles de la procédure orale et du rythme d'audiencement des affaires familiales. Sauf à ce que le demandeur saisisse immédiatement le juge d'une telle demande en sollicitant une mesure d'instruction, la question sera immanquablement abordée lorsque le dossier sera appelé à l'audience... c'est-à-dire un peu tard.

Il faudrait alors envisager un sursis à statuer, avec renvoi à une prochaine audience.

En cas de perception de l'ASF par le créancier d'aliment - L'art. L. 523-1 du CSS prévoit que « le directeur de l'organisme débiteur des prestations familiales peut transmettre au parent bénéficiaire les renseignements dont il dispose concernant l'adresse et la solvabilité du débiteur défaillant à l'issue du contrôle qu'il effectue sur sa situation ».

L'application de ce texte suppose que le parent créancier ait la qualité de bénéficiaire de l'ASF, ce qui exclut déjà tous les autres.

De plus, l'ampleur des « renseignements relatifs à la solvabilité » communiqués par les CAF est soumise à l'interprétation des caisses.